Strategy Director, Paris
De Paris à Bristol : un changement de culture radical
Ce mois-ci, nus avons eu le plaisir de nous entretenir avec Matthieu Mondin, alumni ISCOM promo 2023, qui a quitté sa France natale pour l'Angleterre. Actuellement dans la publicité, il va nous expliquer les différences notoires entre la profession en France et en Angleterre, et certaines sont surprenantes !
Vous occupez aujourd’hui le poste de Strategy Director chez McCann Bristol, après un parcours qui vous a mené de l’ISCOM à l’univers exigeant de la publicité . Pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre parcours, et ce qui vous a amené à choisir la voie de la stratégie de marque à l’international ?
J'ai intégré l'Iscom directement après avoir passé six mois infernaux en classe prépa (rire). Mais je ne regrette en rien cette décision, car je garde un merveilleux souvenir de mes années à l'Iscom, d'abord à Toulouse avant d'intégrer Paris. Les nombreux stages que j'ai faits grâce à l'Iscom m'ont permis de me spécialiser très vite en stratégie de marques, après avoir exploré les relations publiques et l'événementiel. Cela m'a permis de me forger un bon CV avant même d'obtenir mon premier 'vrai' job en alternance chez Dentsu.
Je suis ensuite parti en Angleterre pour parfaire mon niveau d'anglais, et la vie a fait que je suis toujours en ici, avec un retour de deux ans à Paris pour contribuer à la création d'une agence de shopper marketing, puis sept ans en tant que consultant pour une entreprise française qui avait des bureaux au Royaume-Uni. Et depuis plus de deux ans maintenant, je suis de retour dans la publicité, au sein du groupe McCann. Pour la petite anecdote, l'option Stratégie des marques à l'international, que j'ai suivie lors de ma dernière année en MMI (maintenant Marketing, Stratégies de marques et Publicité), continue de m'être très utile au quotidien.
Dans un environnement saturé de messages et de contenus, selon vous, qu’est-ce qui fait qu’une stratégie est réellement “bonne” ? Est-ce sa capacité à surprendre ? À simplifier un problème complexe ? Ou à créer une émotion durable chez le consommateur ?
Je dirais qu'une stratégie est 'bonne' lorsqu'elle permet d'atteindre les objectifs fixés au début de la collaboration avec un client. Nous sommes, après tout, dans le métier du business de la créativité. Il est extrêmement important de garder à l'esprit ce qui nous distingue d'une communauté d'artistes. Notre rôle consiste à aider les marques à obtenir des résultats concrets et tangibles, et pas seulement à susciter une réaction émotionnelle.
Chez McCann, nous accordons toute notre attention au ''Marketing Effectiveness'', et chacune de nos campagnes répond à un objectif précis et mesurable. Diplômé depuis 13 ans, j'ai vu les recherches dans le secteur du marketing évoluer considérablement, notamment grâce aux travaux de Binet et Field au Royaume-Uni. Nous pouvons désormais aborder les marques en leur montrant qu'une plateforme créative, fondée sur un insight fort, singulier et touchant à l'émotionnel, est une clé essentielle pour renforcer la valeur de leurs marques, générer des ventes additionnelles ou influencer d'autres comportements (comme dans le cas des campagnes de prévention santé, par exemple).
Tout repose sur un équilibre entre le court terme, avec l'activation ou la promotion qui permet des ventes immédiates, et le long terme, qui bâtit une marque forte capable de proposer un prix supérieur pour un produit équivalent ou de mieux traverser des situations de crises (sanitaires ou financières). Je simplifie un peu, mais c'est la direction que j'essaie de proposer à mes clients au quotidien.
En ce qui concerne la saturation, le temps de cerveau disponible, le scrolling... je dirais qu'il s'agit de nouveaux défis et de comportements émergents qui complexifient la manière dont les agences de publicité répondent à un brief et adressent une cible. Toutefois, je suis convaincu que ce sont également de formidables opportunités, car les plus belles créations naissent de la contrainte qui motive une équipe de planneurs stratégiques et de créatifs à résoudre un problème par le biais de la créativité.
Vous évoluez aujourd’hui au sein d’un marché publicitaire réputé pour son audace, sa finesse stratégique et sa créativité. Quelles sont, selon vous, les principales différences culturelles ou professionnelles entre la communication en France et celle que vous vivez au Royaume-Uni ?
J'adore cette question, car j'ai récemment écrit un article à ce sujet. Après plus de 11 ans en Angleterre, je remarque réellement un style publicitaire anglo-saxon. Je travaille quotidiennement avec des créatifs exceptionnels, dotés de cette faculté à transformer un insight singulier en une campagne percutante, qui délivre un message simple et mémorable. Pour revenir à votre question précédente sur l'enjeu de l'infobésité et la pollution visuelle constante, je pense que cette aptitude à marquer les esprits de manière ultra précise "n'a pas de prix".
L'humour anglais est également remarquable : il met en valeur des détails hilarants, toujours exécutés avec beaucoup de classe. À l’inverse, la publicité française se distingue par son sens du beau, ses références culturelles et esthétiques. Elle possède ce pouvoir unique de créer non pas de simples publicités, mais de véritables courts métrages oniriques qui font rêver. Je me souviens encore de la campagne Cartier lorsque j'étais chez Publicis, avec tout l'imaginaire autour de la panthère. Un travail superbe et inspirant.
Professionnellement, il m'a fallu un temps d'adaptation, car nous, les Français, sommes parfois un peu exubérants, foufous et prolixes, ce qui peut contraster avec la réserve anglaise. Mais cette adaptation est nécessaire dans toutes les cultures : il est essentiel de comprendre son interlocuteur et ses normes afin que le message passe au mieux. Heureusement, il existe d'excellentes formations à ce sujet.
Par exemple, la structure d'une réunion en Angleterre est complètement différente de celle que l'on pourrait avoir en France. Cela m'a d'ailleurs valu pas mal de frustration lors de ma prise de fonctions à Bristol. Je ne comprenais pas pourquoi une réunion se terminait sans qu'une solution ait été décidée… mais c'est simplement parce que les Anglais préfèrent reprogrammer une seconde réunion pour y prendre une décision ! C'est juste culturel, mais il faut le savoir.
Ci-dessous, la structure d'une conversation en Angleterre et en France.


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Pouvez-vous nous décrire votre méthodologie de travail lorsqu’il s’agit de répondre à un brief stratégique pour une marque ? Quelles sont les étapes clés qui vous permettent de passer d’un insight à une plateforme de marque ou à une campagne créative solide ?
Si vous m’aviez posé cette question il y a 12 mois, ma réponse aurait été complètement différente. Chez McCann, nous vivons au quotidien notre devise “Truth Well Told” : quel est l’unique message capable d’atteindre les objectifs de nos clients, et quelle est la manière la plus créative de le transmettre ? Cela passe par la créativité des idées, mais aussi par la stratégie média, qui peut être extrêmement innovante et créative chez McCann/UM.
Pour atteindre cet objectif ultime, nous utilisons un OS propriétaire (cad un système interne) basé sur les 3 piliers : Culture, Category, et Communities. Aujourd’hui, cette phase de recherche est largement simplifiée grâce à l’IA. Des IA ultra-sécurisées nous permettent d’agréger des sources multiples (recherches propriétaires, panel YouGov - une sorte d'enquête quanti, rapports statistiques, études Mintel... You name it!) afin d’automatiser et synthétiser ces recherches.
Cela nous laisse beaucoup plus de temps pour extraire cette vérité singulière qui répondra parfaitement au brief. Ce temps gagné me permet également de consacrer plus de moments avec mes clients en amont, pour comprendre leurs objectifs (de ventes, marketing et communication) et établir un Effectiveness Contract, qui nous aide à maintenir un cap stratégique tout au long de notre collaboration (parfois sur plusieurs décennies avec certains clients).
Enfin, j’accorde une grande importance au briefing : ce moment où, en tant que planneur stratégique, vous vous retrouvez face à votre équipe de créatifs. Je veux leur faire vivre le produit ou le service, qu’ils ressentent le défi et ce qu’il manque à la marque pour le relever. Cela peut passer par des PowerPoints très créatifs, un cours de cuisine pour une marque d’électroménager, ou encore une virée en ville ou dans un musée pour mieux comprendre notre cible. L’ISCOM, et particulièrement ses règles farfelues de présentation en 5e année (No PPT, No words, Make us laugh...), m’inspirent encore énormément au quotidien.
Qu'est-ce qui a fait de vous, à l'ISCOM, le professionnel que vous êtes aujourd'hui ? Qu'est-ce qui vous a le plus apporté à l'ISCOM (certains cours, certains challenges etc.) ?
Un bon nombre de mes plus proches amis sont également des Iscomiens et Iscomiennes. Qu'ils soient devenus réalisateurs, Head of media pour des maisons de luxe, ou Directeurs marketing de marques de grande consommation, j'ai toujours plaisir à les revoir, échanger avec eux, comprendre leurs défis et, parfois, travailler à leurs côtés. Mais ce que j'apprécie le plus reste leur compagnie, même sans parler boulot. Of course!
Les stages ont été structurants : en les cumulant, cela représente environ 3 ans d'expérience professionnelle, un véritable atout sur un CV. L'ISCOM est une formation rare en Europe, car beaucoup de publicitaires entrent dans le secteur après des études variées (histoire, géographie, littérature et parfois même chimie !), surtout au Royaume-Uni. Cette vision globale de la communication et du marketing est précieuse.
L'ISCOM sait aussi adapter ses programmes en fonction de l'évolution des secteurs, et IA ou pas, il y aura toujours besoin de communicants ayant le talent de simplifier les choses et de rendre le monde plus sympathique et coloré.
Merci infiniment Matthieu pour ce témoignage extrêmement riche et intéressant !