Lors des International Days à Rouen, Baptiste Roger Lacan et Gilles Gressani, normaliens et membres actifs du GEG, Groupe d’études géopolitiques, ont invité les étudiants de l’ISCOM à se questionner sur leur rapport à l’Europe et plus largement sur leur lecture de l’actualité.
Quelques questions à Baptiste Roger Lacan…
Pouvez-vous revenir sur l’idée force qui a conduit à la création du GEG ?
Nous avons créé le GEG pour aborder la question de l'Europe sous un angle différent. Nous sommes partis du constat que les médias français ne parlent d'Europe que du point de vue de la France et de ses intérêts. Or, l’échelle nationale ne permet pas d'aborder les enjeux géopolitiques du continent. Il fallait faire un saut d’échelle et envisager une réflexion sur un plan européen.
Lors de votre intervention, comment avez-vous fait réagir les étudiants à la question de l’Europe ?
Nous leur avons soumis une photo de la signature du traité de Rome qui marque la fondation de la CEE… Comme nous nous y attendions, cette image n’a pas beaucoup fait réagir : l’idée était de leur faire prendre conscience qu'il n'y a pas de grand récit de l’Europe.
Nous les avons aussi invités à réfléchir sur le décalage entre la circulation des personnes - très fluide sur le continent- et celle, plus difficile, des idées : les intellectuels européens sont très peu entendus en dehors de leur propre pays. Aujourd’hui que nous sommes intégrés dans une Union fondée sur la libre circulation, il y a peu d’échange d’idées au-delà des frontières nationales et donc pas vraiment de débat européen.
Comment les étudiants peuvent-ils prendre goût à ce débat ?
Déjà, il faut comprendre la nécessité, pour nous Français, de raisonner à l’échelle européenne. C’est celle-là qu’ont choisie les dirigeants des grandes puissances pour s'adresser à nous, à l’image de Trump ou Poutine qui, dans leurs discours, évoquent plus souvent l'Europe qu'un pays en particulier. On voit bien que la France ne peut plus parler en son seul nom sur la scène internationale.
Pour se saisir du débat, les étudiants doivent aussi avoir les bonnes grilles de lecture. Or, celles qui sont aujourd’hui proposées par les médias ne sont pas adaptées à la réalité du continent. Le travail du GEG, c’est justement de définir des clefs d’analyse pertinentes à l’échelle de l’Europe. Notre réflexion nous a par exemple amenés à dépasser les oppositions droite/gauche ou progressistes/nationalistes et à préférer l’opposition nomades/sédentaires qui rend mieux compte de l’interaction de représentations politiques concurrentes sur le territoire européen.
Quels conseils pratiques avez-vous donnés aux étudiants pour décrypter l’actualité ?
Nous leur avons d’abord recommandé de spatialiser les problématiques. Cela implique encore une fois de réfléchir à l'échelle pertinente d'analyse : si on est face à une question lyonnaise, il peut être intéressant de prendre en compte dans sa réflexion la Lombardie et la Suisse francophone plutôt que le territoire français. C'est l'un des apports fondamentaux de la démarche géopolitique.
De manière générale, il faut toujours veiller à limiter le biais national, se poser des questions à différentes échelles (locale, européenne, mondiale). De même, il s'agit d'adopter une démarche pluridisciplinaire : croiser les sources, les multiplier, les hiérarchiser. En somme, il faut faire l’expérience du décentrement.
Un exemple pour illustrer le principe ?
Une partie des médias se contente de décrire Viktor Orban comme un antieuropéen, politiquement illibéral. En réalité, au sein du Parti Populaire Européen comme dans ses prises de position, il montre une volonté profonde de subvertir l’idée européenne. En d’autres termes, il propose un ensemble alternatif de valeurs pour le continent qui s’oppose au modèle démocratique européen en mettant en avant l’enracinement, les racines chrétiennes du continent, la dénonciation de la libéralisation des mœurs ou encore l’affrontement avec un monde et une culture islamiques qu’il décrit comme hégémoniques. Ce combat doit néanmoins se jouer à l’échelle européenne et non pas simplement à l’échelle hongroise pour lui.
Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur ces discours, en les traduisant notamment, pour rendre intelligible une ligne politique beaucoup plus inquiétante pour l’Europe que l’euroscepticisme classique.
Les travaux du GEG sont aujourd’hui très suivis, plus de 30 000 followers sur Twitter, plus de 10 000 abonnés à vos newsletters. Comment avez-vous réussi à construire une telle communauté ?
Nous avons multiplié les formats, de la newsletter à la revue. Nous publions tous les jours et nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux où nous mettons en avant nos articles et évènements. A cette présence sur le net, nous avons su combiner des événements physiques qui permettent d’incarner le débat d’idées.
Chaque semaine, à l’École Normale Supérieure, mais aussi à Oxford ou à l’Université de Columbia, nous organisons des séminaires consacrés aux débats et auxquels assistent plus d’une centaine de personnes. Nous proposons également un cycle de conférences « Une Certaine Idée de l’Europe » - dans lequel des intellectuels mondialement connus discutent d’Europe au prisme de leurs travaux - retransmis en direct dans plusieurs villes d’Europe, mais aussi aux États-Unis ou en Afrique du Sud.
Enfin, nous sommes bien relayés par nos nombreux partenaires/contributeurs issus des grandes écoles et du milieu universitaire en Europe et dans le monde.
Le GEG en quelques mots : Le Groupe d'études géopolitiques est un think tank indépendant fondé à l'École Normale Supérieure de Paris afin de proposer une réflexion interdisciplinaire sur la géopolitique de l'Europe. Notre démarche se nourrit des approches géographiques, philosophiques, économiques, sociologiques et littéraires, et se place dans une perspective transnationale et polyglotte. Le GEG existe aujourd’hui dans plusieurs Universités et Grandes Écoles à Paris, notamment à l’École Polytechnique, à Sciences Po et à la Sorbonne, ainsi qu'à l’étranger.