L’interview avec Marine Calmet, juriste, présidente de l’association WILD LEGAL.
Mars 2022
Jacques-Olivier BARTHES (présentateur) : Alors Marine, je vais me permettre de te présenter assez rapidement, tu es avocate de formation, juriste de l'environnement et des peuples autochtones, tu es porte-parole du collectif “Or de question” qui se bat en Guyane contre les projets de mines industriels et aussi contre Total. Tu es Présidente de l'association WILD Legal et tu es auteure du livre Devenir gardien de la nature qui a été édité en 2021 et Prix du livre de l'écologie. Ce que je te propose, c'est qu'on va laisser assez rapidement la parole aux étudiants. Nous, on souhaiterait vraiment que cela soit un échange, principalement avec les étudiants, et pas simplement une session habituelle entre professionnels.
Vous avez décidé de vous engager pour la défense de l'environnement et de lutter contre des projets miniers en Guyane. Quel a été votre déclencheur ? Pourquoi avoir choisi cette cause et pas une autre, alors qu'elle pourrait peut-être paraître "lointaine"?
Marine Calmet : Merci beaucoup pour cette question, alors tout d’abord l’élément déclencheur, c’est que j’ai rencontré une délégation amérindienne qui était à Paris justement pour alerter sur la situation de l'exploitation minière en Guyane et sur l'appropriation des terres amérindiennes. Il se trouve qu’ils avaient besoin justement d’une juriste, je suis partie là-bas et j’ai mis à disposition mes compétences pour les soutenir dans leur combat. Je suis profondément certaine qu’il y a en Guyane mais aussi dans les Outre-mer en général, beaucoup de réponses à nos questions, les mines par exemple, c’est vraiment à mon sens le reflet de notre société, le reflet d’une société extractive qui consomme, qui pollue, qui a un rapport à la terre extrêmement dégradé.
Je pense que les combats, notamment contre les mines, sont extrêmement importants parce qu’ils montrent bien la différence entre, d'une part, la société amérindienne qui a conscience, qui a pleinement nourri et soigné cette relation à la terre parce qu'elle sait qu'elle appartient à la terre. Et d’autre part, notre société occidentale qui s'est éloignée de la terre parce que nous, nous considérons que la terre nous appartient et donc le combat anti-mines est devenu aussi le mien. Et je pense qu'il y a dans les projets comme Montagne d'or, dont vous avez certainement entendu parler, le reflet d'une société malade. Et nous avons en Guyane et dans les Outre-mer de vraies réponses, il faut savoir simplement les écouter et s'en inspirer.
Vous avez passé beaucoup de temps sur le terrain en Guyane, en lien avec des acteurs locaux et des populations autochtones. Que pensent-ils de l’engagement pour cette cause et sont-ils investis eux-aussi ?
Marine Calmet : C’est une question un peu difficile parce qu'il ne faudrait pas mettre tout le monde dans le même panier. En revanche, il y a un sincère engagement de l'ensemble des populations affectées par les projets miniers.
J’ai pu observer que nous, quand on parle d'engagement, on dit que l’on fait un choix. Finalement, on décide dans notre vie de prendre fait et cause pour ou contre tel ou tel projet.
Pour eux, en l'occurrence, c'est quand même très différent. Quand vous avez une mine qui s'installe sur votre terre et qui vous met en danger, vous, votre famille, vos ressources, c'est-à-dire votre eau. La possibilité pour vous de faire grandir votre nourriture. Ce n'est pas du tout la même forme d'engagement. On pourrait même tout simplement parler de survie. C'est une question de vie ou de mort.
C'est aussi une question éthique pour eux parce que dans le combat amérindien contre les projets miniers en Guyane, il y a aussi une vraie prise de conscience autour de la question coloniale, c'est-à-dire des entreprises, des multinationales qui s'implantent sur des territoires et une politique néo coloniale qui leur ouvre les portes, qui leur dit : “Voilà, servez-vous. Ceci est à vous”. Et ça, aujourd'hui, il y a une vraie prise de conscience sur la violence, en fait, que ça provoque au niveau d'un territoire. C'est-à-dire des peuples qui sont ici, qui ont déjà vécu une première vague de colonisation et qui se voient une deuxième fois expropriés de leur terre, de leur culture, de leur identité, par une politique extractive et prédatrice, tout simplement de leurs ressources, donc, pour eux qui sont en première ligne, qui sont en danger du fait de ces activités. Bien sûr qu'ils sont investis. Bien sûr qu'ils sont engagés. Et ils étaient en première ligne de toutes les marches que nous avons organisées pendant toutes ces années pour dire non aux projets miniers et pétroliers en Guyane.
Votre engagement est personnel et associatif. Pensez-vous que c'est le seul moyen de changer les choses ? Selon vous, les entreprises ont-elles un rôle à jouer ?
Marine Calmet : Alors, mon engagement, je dirais qu'il est à la fois évidemment individuel et associatif, mais il est aussi politique. Il est aussi artistique. Je travaille avec un réseau d'artistes en Europe qui sont engagés pour la reconnaissance des droits de la nature. Donc en fait, il y a tellement de possibilités différentes de s'engager. Je plaide vraiment pour que chacun, avec ses compétences, s'engage dans les milieux dans lesquels il a son réseau. Tout simplement parce que, quel que soit notre domaine d'activité, nos compétences, on peut trouver sa voie justement pour s'engager.
Pour ce qui touche aux entreprises, il y en a beaucoup qui aujourd'hui se posent ces questions, c'est-à-dire, comment est-ce qu'elles peuvent agir elles aussi à leur échelle. Moi j'ai été contacté, par exemple par Pocheco, qui est une entreprise qui fabrique des enveloppes et qui réfléchit, qui organise un séminaire justement de réflexion pour placer les questions du droit de la nature, de l'écocide, toutes ces réflexions, autour de l'outil juridique pour défendre la nature au cœur de leur entreprise. Donc, il y a une vraie réflexion qui est en cours.
Est-ce que les entreprises ont un rôle à jouer ? Bien évidemment. Mais pour ça, je pense qu’il faut que les entreprises, effectivement, trouvent leur place dans cette révolution. Cette transition, je préfère parler de révolution parce que là, pour le coup, il faut vraiment revoir de fond en comble la manière dont on a eu ou réalisé ces activités par le passé. Et donc, le modèle aujourd'hui d'une entreprise ne doit plus justement être la recherche de développement économique, mais au contraire, ce qu'on essaye de rechercher dans notre société, le bien-être pour tous, une égalité et une protection au sein de l'entreprise, parce qu’elle fait pleinement partie du corps social aujourd'hui et que c'est là où l’on se réalise une bonne partie de notre vie. Et donc, il doit y avoir une réflexion profonde sur ; quel est l'objet en fait de l'entreprise ? Comment elle contribue au bien-être de notre société ? Comment elle contribue à restaurer la biodiversité et à lutter contre le réchauffement climatique ? Tout ça aujourd'hui, je pense qu'aucune entreprise ne peut faire l'impasse sur ce sujet et chacun à notre échelle, que ce soit individuelle, politique, associative ou dans une entreprise, nous devons pleinement nous considérer comme membres de cette communauté du Vivant, comme membres d'un écosystème et que nous devons donc agir pour remplir les fonctions vitales de cet écosystème auquel nous appartenons. Et là, c'est vraiment une vision complètement différente qui doit s'imposer au cœur même des entreprises.
Avez-vous constaté un changement notable ces dernières années ? Ne pensez-vous pas que le monde et la société sont encore trop lents vers cette transition écologique ?
Marine Calmet : Non, c'est difficile à dire, moi, j'ai l'impression qu'au contraire, ça va très vite. Alors c’est peut-être mon côté extrêmement positif, mais par exemple, quand on a commencé à travailler en France sur la question des droits de la nature et du crime d’écocide, il y a sept ans au moment de l'accord de Paris, quand on parlait des droits de la nature, de l’écocide ou même de justice climatique, les gens nous prenaient pour des fous. Et aujourd'hui, sept ans plus tard, c'est quelque chose de tout à fait mainstream, la justice climatique. Tout le monde sait de quoi on parle. Aujourd'hui, le recours qui a fait le plus parler de lui à l'échelle de la France, c’est l’écocide qui a été le sujet au centre des débats de la loi climat. Et donc, vraiment, je suis intimement persuadée que ces sujets arrivent. Ils s'installent sur le territoire français, ils font partie du décor maintenant. Et sept ans à l'échelle d'une vie, de la mienne en l'occurrence, je trouve que c'est pas énorme.
Il faut savoir aussi prendre du recul, changer les mentalités. Normalement, c'est extrêmement long mais avec les moyens de communication qu'on a aujourd'hui, avec toutes ces conférences qui sont organisées… Le fait qu'aujourd'hui, justement, cette thématique rentre même dans les compétences de base qu'on doit acquérir quand on est un jeune, quand on va à l'université ou à l'école après ses études. On doit avoir aujourd'hui un package commun pour nous permettre de connaître les impacts du réchauffement climatique. Savoir ce que c'est justement la criminalité environnementale, etc.
Et ce sont des sujets qui n'étaient pas enseignés il y a encore quelques années, quand moi, j'étais à l'université. Je me dis que les choses vont très vite mine de rien, que ça va s'imposer aussi dans les consciences. Ça va devenir une vraie question de société. Je suis assez optimiste sur notre capacité à rapidement faire évoluer notre société et faire évoluer aussi, finalement, notre projet commun. Et donc, je suis plutôt ambitieuse de ce point de vue là et je crois qu’on peut aller de l'avant, être fiers de nous et continuer sur cette cadence.
Quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes qui cherchent à s’engager pour l’environnement mais qui ne savent pas par où commencer ?
Marine Calmet : En fait, je vais vous donner un conseil très rapide que moi j'ai appliqué quand je cherchais un petit peu ma voix justement. C'est un exercice qui m'a aidé et que vous pouvez trouver très facilement sur Internet ; ça s’appelle l’ikigai. C'est une technique japonaise pour définir sa mission de vie. Donc, c'est tout simplement réfléchir à ce que vous aimez, ce pour quoi vous êtes doué, ce pour quoi vous pourriez être payé, c'est-à-dire ce qui pourrait être demain, votre profession. Et surtout, posez-vous la question de ce dont le monde a besoin. Parce que l'objectif, in fine, c'est de répondre à ce dont le monde a besoin pour que vous trouviez votre place dans cette communauté du vivant, dans cet écosystème qui a besoin de chacun d'entre nous parce que nous formons un corps social, un corps avec les humains, les non-humains. Et donc il faut retrouver sa place, à mon avis, et savoir aussi répondre à ses passions et à sa vocation première. C'est cela peut-être qui vous aidera à faire cet exercice de l’ikigai.
Et en tout cas, moi, ça m'a beaucoup aidé à trouver ma mission de vie et je le fais régulièrement pour savoir si je suis bien sur le bon chemin. Donc, n'hésitez pas à utiliser des exercices de cette manière pour vous aligner avec ce que vous croyez être, votre chemin, votre voie professionnelle et votre engagement là où il doit vous mener.
Jacques-Olivier BARTHES (présentateur) : Merci beaucoup Marine. C'était vraiment super. Je te remercie d'avoir donné du temps pour échanger avec les étudiants. Alors, je me permets de faire une petite promotion de l'Association de Marine, WILD Legal. Il faut savoir que c’est une petite association très dynamique mais qui a vraiment besoin qu'on l'aide en termes de communication. Donc, si vous avez été enthousiasmés par les propos échangés et partagés avec Marine, n'hésitez pas à contacter WILD Legal.
Ils ont besoin qu'on les aide en termes de communication, qu'on pousse leurs messages sur le respect des droits à la fois de la planète et des peuples premiers. Moi j'ai découvert Marine et ça fait 8 mois qu'on travaille de façon régulière ensemble. Et vraiment ce qu’ils font c'est super. Ils sont plein d'enthousiasme ; c’est vraiment des gens très sincères ! Ça fait quand-même 15, 20 ans que je suis dans ce secteur et je peux vous dire que ce niveau de sincérité et d'enthousiasme ne se trouve pas chez tout le monde. Donc vraiment, n'hésitez pas, si vous avez envie de partager les combats de Marine et de vous impliquer à ses côtés, à prendre contact avec WILD Legal. Merci pour tout Marine. Merci beaucoup.